Même si « officiellement » le gothique s'arrête dans les années 1820, Carmilla (1872) reste dans la vaine de cette tendance et ça se voit tout de suite. Carmilla ne déroge pas à la règle : château, contrée lointaine, forêt ou jeunes filles resplendissantes, voici les caractéristiques de la littérature gothique que l'on peut retrouver dans cette novella (petit roman). Le fantastique est d'ailleurs largement influencé par le gothique, l'époque victorienne n'est en rien un obstacle, les caractéristiques sont juste déviées. Le fantastique est en fait un genre hybride qui prend ses ingrédients dans différents courants.
La 'narrative frame' (le prologue ici) rappelle ce que plus tard Henry James utilisa pour sa propre novella, The Turn of the Screw, pour introduire le récit d'un narrateur féminin qui raconte sa mésaventure. Lequel narrateur dans Carmilla demeure extrêmement naïf et qui, malgré un récit rétrospectif, a gardé son âme de jeune fille.
Le Fanu abuse un peu du procédé « rise of expectation », qui consiste à créer un sentiment d'attente, de suspens de la part du lecteur, lequel voit repoussé à plus tard certaines parties de l'histoire. Ces parties (ou révélations en l'occurrence) ne sont au final pas si exceptionnelles. Les phrases telles que « mais je ne vous en parlerai pas tout de suite » sont lourdes et ne peuvent qu'irriter la curiosité du lecteur au lieu de l'exciter.
Évidemment, il y a le grand thème du lesbianisme qui a été vu en long et en large. Il est assez clairement étalé pour qu'on ne s'attarde pas sur le sujet. Ce n'est pas là pour faire sensation mais bien pour ajouter une part de charme, d'envoûtement au texte. L'histoire aurait peut être même été encore plus intéressante, et plus fantastique, sans la révélation de l'existence des vampires. Finalement on ne se pose plus de questions alors qu'on aurait pu mettre plus en tension le lecteur s'il avait été laissé dans le flou quant à la réelle identité de Carmilla. Même si celle-ci ne fait aucun doute, le fait qu'on y mettre un label nous éloigne de l'ambiguïté qui persistait précédemment dans l'histoire. Les peurs de Laura (le narrateur), ses rêves, étaient peut être plus intéressants quand on ne savait pas à quoi s'attendre (le lecteur implicite, parce que oui, nous autres lecteurs du 21è siècle, savons) On reste cependant dans le doute concernant l'identité de la mystérieuse destinataire de la lettre/manuscrit. Maladresse de l'auteur? Peut être, une note du traducteur explique les maladresses et les contre-sens du récit.
En ce qui concerne l'intertextualité de la novella, notons une référence à la comtesse Élisabeth Bathory, alias la comtesse sanglante. Hongroise du 17è siècle, cette femme fut condamnée pour meurtre (emmurée vivante dans son propre château). La légende dit qu'elle se baignait dans le sang de jeunes filles pour préserver sa propre beauté.
Au final, Carmilla ne laisse pas indifférent, on voit bien sûr quels éléments ont influencés les auteurs postérieurs à Le Fanu mais un retour au sources ne fait jamais de mal.
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